mercredi 9 septembre 2015

Rencontre avec Steinunn Þórarinsdóttir

On revient toujours d’Islande avec des souvenirs indélébiles. La grandeur des paysages traversés s’imprime à jamais dans nos mémoires. On revient gorgé de l’énergie si spéciale de cette île. On retourne alors à son quotidien avec la sensation d’avoir vécu une expérience hors du temps et surtout l’impression d’avoir fait un voyage intérieur.

Parmi toutes les rencontres que j’ai vécues, il y a celle avec les statues de Steinunn Þórarinsdóttir.

Cela commence dès l'arrivée à l’aéroport de Keflavik. On aperçoit ces quatre figures humaines argentées se tenant dos à dos, étrangement juchées sur leur promontoire : c’est la première interpellation. D’autres rencontres se feront par hasard au détour du voyage. Qui n’est jamais passé et repassé devant le couple de bustes sur Bankastræti, devant l’église catholique de Reykjavik, sur la place devant le café Stofan ou encore face à l’océan à Vík, dans le sud de l’île ? Ma première rencontre avec les sculptures de Steinunn remonte à 2005, mon premier voyage en Islande. Les œuvres de Steinunn ont contribué à ce que j’appelle « mon voyage intérieur ». Systématiquement, je suis littéralement entrée en méditation devant chaque « figure humaine » se présentant au gré de mes visites. Chacune d’entre elles a fait écho en moi.

Ces sculptures sont devenues pour moi un emblème de cette terre. Il m’est alors paru évident lorsque je cherchais une photo de profil pour la fan page Iceland-Islande de choisir une œuvre emblématique de Steinunn. J’ai choisi la photo de profil en 2009. Je ne l’ai jamais changée depuis. Artiste de renommée internationale, Steinunn est connue pour ses gigantesques installations dans l’espace public. Ces figures humaines envahissent les parcs des villes du monde entier. L’interaction entre l’œuvre et le public fonctionne parfaitement. Steinunn a accepté de nous parler d’elle et de son œuvre.

Vous vous êtes réveillée un matin en vous disant : je veux être sculpteur ? Comment cette passion a-t-elle vu le jour ? "Lorsque je finissais mes études dans le vieux lycée du centre de Reykjavik, j’étais comme tous mes camarades. Je me demandais ce qui allait advenir de moi, ce que j’allais faire par la suite. J’ai toujours été intéressée par les arts visuels. Faire des études d’art était alors une évidence pour moi. Je suis alors partie en Angleterre pour suivre des cours d’initiation et je me suis familiarisée avec le dessin, la peinture, le graphisme… et un jour j’ai suivi un cours sur la céramique. Créer en 3D m’a immédiatement plu. Je me sentais très à l’aise ! Voilà comment j’ai découvert ma spécialité. Mon premier coup de foudre avec l’argile est né de cette liberté à faire ce que je voulais à partir de la matière première. Puis j’ai commencé à brûler l’argile d’après une méthode japonaise appelée RAKU. Il en ressort une belle couleur noire et organique qui me relie fortement à la nature islandaise. Depuis mes débuts je développe ce langage visuel entre les éléments. J’ai commencé par faire de petites figures humaines qui sont progressivement devenues plus grandes. Je suis une artiste figurative depuis toujours. Ma source d’inspiration principale est la condition humaine dans toute sa complexité. C’est pratiquement ma seule source de création, mais elle est vaste ! "

Les voyageurs qui visitent l’Islande deviennent très vite familiers avec vos sculptures visibles un peu partout. Pouvez-vous nous les expliquer ? 
"Je préfère ne jamais forcer l’interprétation du public, donc mes figures sont souvent neutres et inexpressives. De cette manière, celui qui observe mon œuvre devient curieux et passe un moment privé avec mes sculptures. Un dialogue naît. Leur neutralité permet des possibilités d’interprétation plus nombreuses. Ces figures sont des êtres spirituels enfermés dans un corps ; du coup mon œuvre se veut être un questionnement sur l’âme et la spiritualité plutôt que sur le corps. Vos figures n’ont pas de bouches, pas d’oreilles. Comment cela se fait-il ? Comme je l’ai expliqué, mes figures ne sont pas réalistes. Sans oreilles et sans bouche, elles sont plus ouvertes au rêve et à la méditation. Elles ne sont pas vraiment de ce monde. Elles sont des instants figés de la contemplation. Peut-être s’agit-il d’un instant suspendu avant ou après que quelque-chose ne se passe. Je mets l’accent sur le calme et la tranquillité. Je préfère que mes sculptures chuchotent plutôt qu’elles ne crient. Elles sont androgynes, en ce sens elles représentent tout le monde et personne à la fois."

Vous réalisez vos sculptures en utilisant du bronze et de l’aluminium. Ces matériaux ont-ils une symbolique particulière ? 
 "J’ai toujours utilisé une grande variété de matériaux : l’argile, le plastique, le béton, le métal, le verre ou encore le bronze. Mes œuvres exposées dehors doivent être composées de façon à pouvoir résister aux conditions météorologiques parfois violentes de l’Islande ! "

Qu’est-ce qu’il vous manque lorsque vous n’êtes pas en Islande ? 
"Lorsque je quitte l’Islande pour un moment, les grands espaces et la population réduite me manquent. Ces grandes étendues sont vitales pour respirer librement. Je tâche toujours de rester le plus possible en Islande durant l’été. J’ai une petite maison sur la côte sud où les nuits estivales sont superbes. Néanmoins j’aime voyager dans une ville comme New York, on peut disparaître dans la foule et être anonyme. C’est également le gage d’une certaine liberté. "

Corinne Leleu, traduction Lea Gestsdóttir Gayet
Vidéo Steinunn Þórarinsdóttir BORDERS Installation: an Interview with the Artist »